En 1930, le romancier américain Dashiell Hammett invente un personnage aussitôt iconique : le détective privé Sam Spade. Humphrey Bogart le hisse au rang de héros du film noir dans Le Faucon maltais (1941) de John Huston. On le retrouve de nos jours sous les traits du charismatique Clive Owen dans Monsieur Spadeune création originale de Canal+ qui ressuscite le fin limier flegmatique et opiniâtre. Après le Knick (2014), sous la direction de Steven Soderbergh, l’acteur britannique de 59 ans rempile dans cette série très ambitieuse née du partenariat entre Scott Frank (Le Jeu de la Dame) et Tom Fontana (Borgia).
Dans les années 1960, Sam Spade coule une retraite paisible à Bozouls, un village dans l’Aveyron. Quand six religieuses sont sauvagement assassinées, il décide de reprendre du service… Après un épisode d’exposition au rythme languissant, on est heureux par la montée en puissance d’un scénario auréolé de mystère et tentaculaire qui distille les indices au compte-gouttes, hanté par les fantômes de la Seconde Guerre mondiale et la déroute récente en Algérie. Ce thriller vénéneux s’inscrit aussi dans l’esprit d’Agatha Christie, tempéré par un humour noir cathartique. Rencontre avec la star lors de son passage à Paris.
Le JDD : Impressionné de succéder à Humphrey Bogart ?
Clive Owen : Je suis un immense fan. Il est aussi fabuleux dans Casablanca (1942) de Michael Curtiz, mon film préféré de tous les temps. J’ai bien conscience que je deviens son héritier avec Monsieur Spade, mais je ne ressens pas trop de pression. J’entends tellement de confrères acteurs déclarer qu’ils oublient les interprètes qui ont précédé dans un rôle culte afin d’imprimer leur propre marque. J’ai fait exactement le contraire. J’ai révisé Le Faucon maltais, je ne me suis pas voilé la face, j’ai assumé la comparaison jusqu’au bout, je n’ai pas pris mes distances en me disant que je devais réinventer Sam Spade. Non, je voulais rester le plus possible fidèle au matériau d’origine. J’ai étudié le jeu tout en retenue de Humphrey Bogart. Je suis nostalgique de l’âge d’or du polar hollywoodien. Je soutiens The Electric Palace, un cinéma bâti en 1911 et situé à Harwich, dans l’Essex, au Royaume-Uni, qui a été rénové en respectant l’architecture de l’époque. Je vais y organiser une projection des deux premiers épisodes. Il faut chérir notre patrimoine !
« J’étais gonflé à bloc. Je me suis aperçu que Scott Frank m’avait dupé car sa vision de Sam Spade est quelque peu différent »
Comment êtes-vous préparé ?
J’ai relu Dashiell Hammett. Coïncidence, il y a quelques années j’ai failli incarner Philip Marlowe, l’autre personnage de détective privé créé dans les années 1930 par l’écrivain Raymond Chandler, qui a donné naissance à un classique : Le Grand Sommeil (1946) d’Howard Hawks, avec Humphrey Bogart. J’étais gonflé à bloc. Je me suis aperçu que Scott Frank m’avait dupé car sa vision de Sam Spade est quelque peu différente. L’histoire commence en 1955, mais l’essentiel se déroule une décennie plus tard. Sam est vieux, retraité dans le Sud de la France, veuf et souffrant d’emphysème. Pire, il a remis son chapeau, son imperméable et son revolver au placard ! Alors je jubilais quand on filmait les flash-back. (Rires.)
Vous étiez content de tourner en France ?
J’ai vécu un rêve éveillé ! Nous étions dans des lieux magnifiques, entre Montpellier, Bozouls et des studios en banlieue parisienne. J’ai passé quatre mois dans le Sud, de l’été à début décembre, jouissant d’une météo idyllique. J’ai flâné dans les marchés, j’ai bu du bon vin et je me suis même autorisé quelques week-ends à la campagne. J’ai travaillé dur, mais j’aime mon métier qui me rend heureux, particulièrement quand il me consomme. Quand je ne fais rien, je cogite. Je m’amuse avec Denis Ménochet, un comédien brillant. À l’écran, nos joutes verbales sont cinglantes ! Chiara Mastroianni m’a séduit par son aisance et son énergie. J’aurais adoré qu’elle me présente sa mère, Catherine Deneuve. (Rires.) Je l’admire, comme Alain Delon, inoubliable dans Le Samouraï (1967) de Jean-Pierre Melville et La Piscine (1969) de Jacques Deray. Il paraît qu’il ne va pas bien, c’est triste.
« Je fais illusion car j’ai bien appris mon texte, mais je suis mauvais. Et trop timide pour moi lancer »
Avez-vous amélioré votre pratique de la langue ?
Je fais illusion car j’ai bien appris mon texte, mais je suis mauvais. Et trop timide pour moi lancer. Promis, je vais multiplier les efforts pour tenter de m’améliorer. J’aimerais beaucoup collaborer avec Jacques Audiard… en anglais ! Ou Guillaume Canet, qui m’avait dirigé dans Les liens du sang (2013) et avec qui j’ai gardé le contact.
Quelle est votre relation avec notre pays ?
Je me plais en France. Je suis passionné par le sport. J’ai assisté plusieurs fois au Grand Prix de l’Arc de Triomphe à l’hippodrome de Longchamp car je raffole des courses de chevaux. J’étais aussi dans les gradins de Roland-Garros pour le tournoi de tennis. Ainsi qu’au match du PSG contre Liverpool au Parc des Princes. Paris n’est qu’à deux heures et demi de Londres, où j’habite. Donc je saisis la moindre excuse pour prendre l’Eurostar. C’est plus facile et rapide que de rallier le Sud de la France. Pendant les prises de vues, ma femme m’a rejoint à Paris pour un week-end. Nous sommes repartis en même temps, elle m’a envoyé un SMS pour me signifiant qu’elle était bien arrivée alors que je me trouvais encore dans le train pour Montpellier !
Monsieur Spade **
De Scott Frank et Tom Fontana, avec Clive Owen, Denis Ménochet et Chiara Mastroianni. 6 épisodes de 52 minutes. Chaque lundi à 21 heures sur Canal+ à partir de demain.
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